21 de abril de 2011

Lu dans le Figaro d'aujourd'hui : Cristina Branco et les nouvelles voix du fado

Ce style traditionnel portugais revient au premier plan grâce à de jeunes talents, plus de dix ans après la disparition d'Amalia Rodrigues.

Cristina Branco est depuis une quinzaine d'années une des plus brillantes ambassadrices de ce qu'il convient d'appeler le nouvel âge d'or du fado. Cette musique portugaise traditionnelle traverse actuellement une période faste de son histoire. Bon nombre de nouveaux talents émergent, laissant apparaître une scène pleine de vitalité et de dynamisme.

«On peut parler d'un phénomène de mode, expliquait Cristina Branco récemment, à Paris. Beaucoup de jeunes chanteurs ont fait leur apparition ces dernières années. Pour ma part, je ne me considère pas comme une fadista typique, plutôt comme une interprète qui chante aussi des fados .» Son nouvel album, Fado tango (chez Universal), opère un rapprochement entre tradition lisboète et culture argentine. «Ces deux styles ont beaucoup en commun, si on écoute attentivement. En effectuant des recherches sur le tango, j'en ai trouvé qui pourraient passer pour des fados. Il y a une proximité dans les textes également. Sur ce disque, je me suis appliquée à masquer la misogynie du tango », détaille la trentenaire. Son album montre à quel point le fado a su se renouveler en se frottant à d'autres esthétiques, comment il est parvenu à se moderniser sans se renier. Récemment, la star américaine Prince déclarait que ce genre musical pourrait bien devenir la prochaine sensation mondiale. Et il est prévu que le fado soit inscrit prochainement au patrimoine immatériel de l'Unesco.

En juin prochain, Cristina Branco partagera pour la première fois la scène avec ­Mariza, dans le cadre d'un concert géant, à Lisbonne, avec un grand orchestre. Native du Mozambique, cette dernière a effectué de subtils métissages - notamment avec la musique africaine - au cours de ces dernières années, avant de revenir à un répertoire plus classique dans l'album Fado tradicional, qui vient de paraître (chez EMI). Elle incarne une génération décomplexée de l'héritage d'Amalia Rodrigues, reine incontestée du genre, dont le règne a pris fin avec sa disparition, en 1999.

«Amalia a laissé une grande trace, elle incarne une image divine aujourd'hui encore, témoigne Cristina Branco. Il aura fallu la dernière dizaine d'années pour qu'émergent des voix prêtes à renouer avec une forme de fado plus académique, après les mélanges du début de ce siècle. À 30 ans, Ana Moura fait figure de nouvel espoir de la scène portugaise. Protégée de Prince, qui n'hésite pas à voyager pour assister à ses concerts - on l'a vu admirer la jeune femme à La Cigale en mai 2009 -, elle a aussi collaboré avec les Rolling Stones. Plus jeune que Cristina Branco ou Mariza, elle est aussi la plus traditionnelle de toutes ces interprètes, sacrifiant rarement à l'instrumentation typique du style.

Parallèlement à toutes ces femmes, un certain nombre d'artistes masculins ont également émergé sur la scène. Ainsi, Antonio Zambujo, 35 ans et déjà auteur d'une poignée de disques remarquables. Célébré dans son pays, il a joué en Europe, recueillant un beau succès. Mais c'est encore au Brésil qu'il exerce la plus forte influence. Maître de la musique populaire brésilienne, Caetano Veloso ne tarit pas d'éloges à son égard. Le sexagénaire a comparé son timbre à celui du maître Joao Gilberto, fondateur de la bossa-nova à la fin des années 1950. Plus romantique, parfois proche des harmonies du jazz, Zambujo est déjà une voix qui compte.

C'est alors que le Portugal traverse une crise économique et politique majeure que sa musique vit une période de grande créativité. «Le fado, c'est la vie même, affirme Cristina Branco. Il contient presque tous les sentiments humains .» Identifié comme une musique à la tonalité sombre et dramatique, le fado se pare avec ses nouveaux interprètes de couleurs plus variées. Sur son album, Cristina Branco revisite ainsi Jacques Brel et Charles ­Baudelaire, dont elle adapte L'Invitation au voyage, appel au mouvement qui pourrait faire office de profession de foi chez cette artiste qui refuse le surplace et assume sa part de sensualité. «Le thème de la dernière chanson de mon album est l'orgasme. C'est sans doute le plus loin que je puisse aller.»