Le théâtre des Bouffes du Nord sied à Mísia. La chanteuse portugaise a longtemps rêvé de chanter sur le lieu exact où mourait de passion chaque soir Hélène Delavault dans la Tragédie de Carmen ; là aussi où Ingrid Caven déployait son cabaret grandiose et dérisoire. Elle a enfin investi le fief de Peter Brook il y a quatre ans avec Lisboarium, évocation rêveuse de Lisbonne, berceau du fado, où l’on découvrit une nouvelle Mísia, moins hiératique et enjouée : elle finissait le spectacle dans un costume de carnaval de Rio, en hommage à Carmen Miranda ! En parallèle, elle publiait un délicieux livre de souvenirs, révélant une vie d’aventurière insoupçonnée, de ses débuts dans le strip-tease jusqu’aux tentatives de suicide (1).
Après un disque surprenant, Ruas, en 2009, où elle reprenait, entre autres audaces, Nine Inch Nails, Joy Division ou Dalida, Mísia revient à Paris avec Senhora da Noite (Dame de la nuit), création uniquement composée de fados écrits par des femmes, que l’on retrouvera dans son prochain album.
Celle qu’on a jadis étiquetée «l’intellectuelle du fado» aime les concepts, les idées qui lui permettent de décliner le fado, de le prolonger et de l’éclairer différemment. Conceptuel ne veut pas dire ennuyeux. Ces dernières années, au fil des concerts, et à mesure que son français s’améliorait, elle a de plus en plus dialogué avec le public, passant de la présentation des chansons à des propos à bâtons rompus.
«Ça tourne au stand-up comedy», s’amusait-elle mercredi soir, avant de s’expliquer : «Ma grand-mère catalane était vedette frivole, comme Mistinguett, à Barcelone. Chez moi cohabitent un côté fado sérieux, immuable, mais aussi un côté Almodóvar, exubérant.»
Pour évoquer ces femmes «mi-sorcières, mi-prêtresses» et faire vivre les textes signés Lídia Jorge, Helia Correia ou Amélia Muge, Mísia puise dans les musiques du fado traditionnel. Elle reprend aussi un poème ancien, Garras dos sentidos, qu’écrivit pour elle Agustina Bessa-Luís, grande dame des lettres lusophones, mais l’interprète sur un autre mode : fado menor à l’origine, il devient fado corrido, passant du tragique à une certaine allégresse. Un résumé du parcours de la chanteuse depuis dix ans.
(1) Les fados de Mísia, avec Hervé Pons. Editions Jean-Claude Gawsewitch, 2007.