17 de fevereiro de 2011

Lido no Libération : La jeune Ana Moura en fado majeur


Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ
Jeudi, sur la scène de l’Alhambra à Paris, Ana Moura portait une admirable robe noire aux reflets dorés et dos en dentelle. Des allures de femme fatale pour une artiste qui, à l’opposé, respire la simplicité, évite les poses mélodramatiques et installe une chaleureuse complicité avec le public.

La veille du concert, sans maquillage, elle nous présentait son univers de jeune fadista (31 ans) qui a su séduire un public bien plus large que les aficionados musiques du monde. «Dans ma famille, confie Ana Moura, on a toujours chanté le fado. Le premier que j’ai appris, toute petite, s’intitulait Mon petit cheval rouge, et il évoquait le monde des touradas [corridas portugaises, ndlr] très populaires dans ma région du Ribatejo.Une passion que je ne partage pas : je n’aime pas voir souffrir les animaux.»

Chandelles. Après avoir pris des cours de chant lyrique qui ne lui ont «strictement rien apporté», Ana débute à 17 ans dans un des temples de la nuit lisboète, Senhor Vinho. «J’ai découvert un endroit magique, où on chante dans la pénombre, à la lueur des chandelles, dans un silence recueilli. On y croise des chanteurs et musiciens de renom, mais aussi un noyau dur d’amateurs qui viennent depuis des décennies et qui ont connu tous les grands du fado. Les fréquenter, c’est comme aller à l’université.»

Les murs de cette vénérable casa de fado scelleront son destin : «J’avais enregistré un disque pop-rock pour Universal, sans dire que je chantais aussi du fado. Un soir, le patron du label est venu à Senhor Vinho, il a été très surpris de me trouver là et a été tellement emballé qu’il a décidé que j’enregistrerai du fado. Quant au disque pop, il n’a jamais été publié…»

C’est aussi dans un cabaret qu’elle verra débarquer les Rolling Stones, un soir de juin 2007. Pas des inconnus pour elle, puisqu’elle avait enregistré avec eux No Expectations et Brown Sugar pour le disque Stones Project, qui réunissait des artistes jazz et world autour du répertoire stonien. Le lendemain, match retour : c’est le groupe qui l’invite sur scène lors de son concert au stade Alvalade, le fief du Sporting Lisbonne, devant 60 000 personnes.

Des casas intimes aux grandes salles internationales, ces dernières années le fado a considérablement élargi son territoire. «Il a cessé d’être marginal au Portugal, poursuit Ana Moura, les jeunes l’écoutent, c’est une musique qui parle du monde d’aujourd’hui.» Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter son nouveau CD, Leva-me Aos Fados («Emporte-moi vers les fados»), où des musiques traditionnelles adoptent des textes contemporains de haute tenue littéraire (traductions dans le livret) comme le beau Critique de la raison pure, du journaliste poète Nuno Miguel Guedes. Ailleurs, c’est vers les racines folkloriques que penche son fado : Não é um Fado Normal («Ce n’est pas un fado normal») lui a été apporté par Amélia Muge, chanteuse à qui la nouvelle génération fado réclame des chansons.

Médusé. Le fan-club d’Ana Moura compte un autre VIP : Prince, qui l’a accompagnée à la guitare sur A Casa da Mariquinhas, un classique. Au printemps 2009, le public parisien de la Cigale, médusé, avait vu la star de Minneapolis débouler sur scène pour se prosterner devant Ana Moura… L’anecdote amuse toujours la chanteuse. «Prince me disait que pour lui, la musique obéit à des cycles. Il y a eu le blues, qui a donné naissance au rock et s’est répandu à travers le monde; et maintenant c’est au tour du fado.» Le ciel entende Prince Rogers Nelson.