3 de fevereiro de 2010

Lido no Libération : entrevista do 1° ministro português

Par JEAN QUATREMER envoyé spécial à Lisbonne

Et si le Portugal, demain, subissait le même sort que la Grèce ? Ce pays fait aussi partie des maillons faibles de la zone euro, ceux que les médias anglo-saxons surnomment les «Piigs» (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne, un jeu de mots avec pigs, «cochons»). Or, les agences de notation estiment que le projet de budget portugais pour 2010, présenté la semaine dernière, n’est pas assez rigoureux. Elles viennent donc de placer la péninsule lusitanienne sous «surveillance négative». Dans un entretien à Libération, José Sócrates, Premier ministre socialiste du Portugal depuis 2005, critique ces agences de notation anglo-saxonnes qui reprochent aux Etats de s’être endettés pour sauver le système financier…

Le Portugal est-il, avec la Grèce, l’autre maillon faible de la zone euro ?

Je ne comprends pas cette suspicion à l’égard de mon pays. Il faut que l’on m’explique en quoi notre situation est différente de celles des autres pays et en quoi elle est plus préoccupante. Nous sommes en ligne avec ce qui s’est passé ailleurs dans le monde à la suite de la crise. Regardons les chiffres : notre déficit public est de - 9,3% du PIB en 2009 contre - 2,6% en 2007, soit une variation de - 6,7. Cela paraît important, mais le déficit moyen du G20 et de la zone euro s’est dégradé dans la même proportion. Pour la dette publique, c’est la même chose : en 2007, elle était de 63,5% du PIB et elle atteint aujourd’hui 76,1%, soit un peu moins que la moyenne de la zone euro (78,2%) et un peu plus que celle du G20 (75,1%).

Les marchés ne se préoccupent pas de la réalité de la situation économique, mais se basent sur des a priori et des impressions pour rendre leur jugement. Je recommande à ces analystes de venir constater la réalité sur place. Et je me demande pourquoi ils ne se préoccupent pas de la situation au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, sans même parler du Japon, où les comptes publics sont bien plus dégradés qu’au Portugal.

Les inquiétudes du marché à l’égard du Portugal sont infondées ?

Tout à fait. Si notre déficit a plongé, c’est parce que nous avons fait un effort budgétaire pour aider notre économie ébranlée par la crise mondiale. Il s’agit donc de dépenses justifiées. L’intervention de l’Etat a d’ailleurs fonctionné : le Portugal, comme la France, a été l’un des premiers pays à sortir de la récession technique, au 2e trimestre 2009, et avec l’une des plus fortes croissances de la zone euro. J’ai une vision instrumentale du déficit : il faut le creuser quand l’économie en a besoin. Comme l’a dit le Nobel d’économie Paul Krugman, «le déficit a sauvé le monde». Il ne faudrait quand même pas que les marchés nous reprochent d’avoir réussi à éviter la répétition de 1929 ! Le pire est derrière nous, mais les conséquences du tsunami financier, ce sont les déficits. Le retour à la normale est pour bientôt : en 2010, nous allons réduire le déficit d’1 point et nous reviendrons sous les 3% en 2013.

Réduire son déficit de 5 points en trois ans, c’est énorme !

Exact. Mais nous l’avons déjà fait : nous sommes passés de 6,8% en 2005 à 2,6% en 2007. En deux ans. Je sais comment faire et je suis prêt à le faire. Mais je ne le ferai que lorsque cela ne menacera pas l’économie. Pour l’instant, elle est encore convalescente : notre croissance ne sera, cette année, que de 0,7% avec un taux de chômage de 10%.

L’agence de notation Moody’s considère pourtant que votre projet de budget 2010 ne va pas assez loin.

Comment cette agence peut-elle donner son opinion sans avoir vu notre projet de budget, sans tenir compte de nos projections de réduction du déficit budgétaire et de la nature des dépenses ? Ce sont des dépenses d’investissement qui préparent l’avenir et la croissance de demain. D’ailleurs, même l’opposition de droite a décidé de s’abstenir sur le vote du budget, ce qui est un geste de grandeur politique de sa part.

N’y a-t-il pas un problème avec ces agences de notation, toutes anglo-saxonnes (sauf une), qui déterminent l’humeur des marchés ?

Il est extraordinaire que les agences critiquent les gouvernements pour avoir dépensé l’argent qui a permis de sauver le système financier ! Elles devraient comprendre qu’il y a une différence entre les Etats qui font des dépenses sans raison et ceux qui les font pour une bonne raison. Et n’oublions pas que ce sont ces agences qui ont été incapables d’évaluer les risques qui ont débouché sur la grave crise que nous traversons. Il faut prendre des mesures et j’espère que le G20 changera le système pour lui redonner sa crédibilité.

Le traitement que les marchés infligent à la Grèce est-il justifié ?

Je ne vois aucune raison objective de considérer que la Grèce présente un risque aussi élevé que certains le disent alors qu’elle est membre de l’Union et appartient à la zone euro. D’ailleurs, les marchés ont massivement souscrit à l’emprunt à cinq ans lancé par la Grèce : il y a eu 25 milliards d’euros de demande alors qu’Athènes ne voulait lever que 3 milliards. Cela montre que les investisseurs n’ont pas accompagné les suspicions des agences de notation. Il est curieux que ces dernières nous disent à longueur d’année que la Grèce est quasi en cessation de paiement, et que les marchés se précipitent sur sa dette. Il est vrai que les taux d’intérêt sont désormais très élevés, ce qui attire les investisseurs. Or, pourquoi les taux sont-ils hauts ? Parce que les agences considèrent qu’il y a un risque élevé. On voit bien ce que certains ont à gagner dans la situation actuelle.

Depuis vingt ans, la Grèce a promis de faire des réformes structurelles qu’elle n’a jamais faites…

Je peux donner l’exemple du Portugal. En 2005, mon pays était aussi dans une situation difficile : alors qu’il n’y avait aucune crise mondiale, notre déficit était de 6,8% du PIB, le plus élevé de la zone euro, tous nos partenaires de la zone euro étant sous les 3%. Ce dérapage était dû à une explosion du nombre de fonctionnaires public et à un déséquilibre structurel de la sécurité sociale, en particulier du régime de retraite. En allongeant la durée de la vie active, nous avons ramené la croissance annuelle des dépenses de retraites à 3,4% contre 9% en 2005.

Côté fonction publique, le nombre des fonctionnaires est passé de 747 880 à 675 000, soit 10% de moins, en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Autant de réformes auxquelles les agences de notation ne croyaient pas : elles disaient que c’était impossible, que cela ne pourrait pas être fait en trois ans, comme promis. Or, ces réformes difficiles, nous les avons faites en deux ans seulement : en dépit de manifestations massives, l’opinion m’a soutenu.

Cette crise ne montre-t-elle pas la nécessité d’une meilleure gouvernance économique ?

Je suis d’accord. Sans l’Europe, la situation aurait été bien pire. La leçon, ce n’est pas moins d’Europe, c’est plus d’Europe. Il faut que l’idée du gouvernement économique de la zone euro avance et ma conviction est que, vu la violence de la crise, les conditions politiques pour agir sont réunies. Ce serait terrible pour l’Europe que nous ne fassions rien après cette crise.

Faut-il afficher la solidarité de l’Europe avec la Grèce ?

Il n’y a pas urgence à afficher quoi que ce soit. La Grèce peut compter sur la solidarité de ses partenaires. Les marchés doivent comprendre que ce pays est une partie de la zone euro et que nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’aider. Le philosophe espagnol Ortega Y Gasset a dit : «Plusieurs abeilles, un seul vol.»